literature

Premices: extrait

Deviation Actions

Alyciane's avatar
By
Published:
610 Views

Literature Text

Chapitre 1
Mise à Mort


Ma très chère Elizabeth

Je voulais vous faire part de ma joie à la réception de votre invitation. Je serais fort gré de venir vous rendre visite, et peut-être, pouvoir discuter de certaines choses du Royaume. Mais, j’aimerais savoir, auriez-vous donc imbibé le papier de quelconque parfum envoûtant ? Dès la cire brisée, votre odeur de rose, une de ces senteurs veloutées qui ensorcèlent les sens, m’est apparu comme un spectre bienfaiteur. Comprenez alors ces lignes fébriles que je griffonne maintenant, saoul de cette vision.
L’on m’a rappelé hier qu’un certain homme, et vous saurez sans doute de qui je parle en vous souvenant de mes longues journées de colère, a sut quitter la célèbre prison d’Isgurdian presque en vainqueur. Que puis-je dire, sinon que ces genres de choses m’écœurent au plus haut point ? La sentence avait su reconnaître en lui un homme dangereux pour la paix du monde, mais cela n’a pas suffit. Il faudrait prendre alors d’autre mesure plus efficace, ne permettant plus à ce monstre de se promener si facilement dans la nature. Il est bien entendu évident que son cas ne devrait pas nous concerner, lui qui est sous la gouverne de tout autre, mais, et croyiez moi belle Dame, que sa façon d’étreindre les choses n’est bon pour personne.
Voila, je me fâche alors de ces quelques paroles et déjà m’emporte. Il est préférable que je laisse pour l’instant tout cela de côté et ne me rappelle que de bonnes choses. Ma Demoiselle, Lady Elizabeth, me croiriez-vous si je vous dis ne plus avoir soucis au cœur rien qu’en pensant à notre futur rencontre ? J’espère, je l’avoue, pouvoir vous citer tous ce qui me tracasse et trouver en vos mains douces un appui certain. Ce n’est, bien entendu, qu’entre noble de bonne famille que nous pouvons nous fier, et je vous sais d’un cœur doux et chaleureux. Vous comprenez donc que j’attends beaucoup de ce rendez-vous…

Avec mes salutations les plus respectueuses et les plus dévouées, sachez, Lady Elizabeth, que je saurais faire grâce de votre gentillesse d’esprit.

Seigneur Andor de Lorris




Affalé sur le lit défait, le corps à moitié dénudé, le bras ballant, la bouche entrouverte humidifiant l’oreiller de soie rouge, le seigneur semblait partit pour un profond sommeil. La jeune femme se leva, admirant d’un air presque maternel le corps inerte. Le drap tiré sur sa poitrine, elle se laissa glisser jusqu’à la fenêtre, respirant le parfum entêtant qui régnait dans la pièce chaude et qui embrumait son esprit. Elle aimait tant ce moment de langueur et de solitude, alors que ses conquêtes s’emmuraient de rêves éphémères et illusoires.  Un instant de tristesse et de plaisir qui savait la bercer comme une enfant. Elle, une femme de pouvoir et de richesse savait elle aussi posséder quelques sentiments de tendresse et de souffrance. Elle se mordit la lèvre en regardant le ciel se couvrir de sombres nuages. Ainsi Andor était venu pour pleurer dans ses bras, confessant ses tracas quotidien comme un enfant à sa gouvernante. Il s’était laissé envoûté, ensorcelé par les yeux étincelant de la jeune femme, lui promettant ce que jamais il ne pourrait lui-même avoir. Pourtant, Elizabeth savait bien que chacun de ses caprices possédaient son prix. Et plus il était cher, plus  elle le savourait et le dévorait comme une vampire affamée. Le jeune seigneur, qui n’était qu’homme entre ses bras, avait lui aussi une valeur précieuse et presque trop élevée. La valeur d’une vie humaine.
C’était les yeux exorbités de colère et de rage qu’il avait parlé, comme à son habitude, de cet homme. Elizabeth sourit d’un air amusé. Comment un seul homme pouvait dégager tant de craintes et de haine à travers ses paires ? Il l’avait supplié, tirant sa robe de satin, à genoux presque, de trouver un moyen de se débarrasser de ce gêneur trop prétentieux. Elle qui n’avait rien à voir en cette affaire, elle « si belle et si douce » saurait répondre à ses désirs. Elle y répondra sans doute, car c’était le prix, comme d’habitude. Pourtant, elle ne l’aimait pas, et détestait plutôt cet enfant trop gâté et aveuglé par une morale rigide et irréelle.  Elle poussa un petit soupire, consciente de ses devoirs pour le garder sous sa coupe.
Ses doigts fins et agiles virevoltèrent, ses cheveux d’ébènes ondoyant sur ses épaules nues. Elle marchait toujours ainsi, donnant l’impression d’un cygne d’ombre, de lumière et de sang. Apres s’être assurée que le drap lui fasse un habit convenable et des plus élégants, elle leva les yeux vers le sombre plafond, les flammes des chandelles n’arrivant pas à percer les ténèbres jusque là.  
« Mon gentil petit fou, j’ai encore besoin de toi » murmura-t-elle, tenant une posture droite et gracieuse.
Un petit rire retentit, comme quelques enfants grelottant de froid. Il claquait dans l’ombre, sur les murs embrumés, et vint s’accompagner d’un tintement métallique et perçant. Alors, de la poix noire s’extirpa un visage grimaçant un sourire malicieux. Il était là, la tête en bas, le corps enfoncé dans les ténèbres du plafond. Se laissant tomber, il s’accroupit sur le sol sans bruit, araignée farfelue, saluant humblement sa présente Maîtresse.
« Souhaitez-vous donc me demander quelque chose ?
Il releva la tête et la pencha sur le côté, un petit sourire tendre aux lèvres, les trois grelots de sa coiffe clownesque chantant en cœur. La jeune femme soupira, las, regardant de côté.
-J’ai besoin de toi. Sais-tu combien je t’estime ? Car tu fais rigueur dans ton travail, j’ai une mission importante à te confier.
-Importante ? Il prit un air étonné, mais déjà ses yeux noirs luisaient d’une ardeur malveillante.
-Toi qui aimes le jeu bien au-delà de l’argent, je t’offre …
-Vous m’offrez ? Il sourit, gardant toujours cet air d’enfant égaré.  Elizabeth fronça les sourcils, agacée.
-Je t’offre une proie qui saura te plaire. Il a déjà filé entre les doigts de plusieurs et…
-Vous pensez ? Sa voix prit un ton ironique et amusé. La Dame se tut, le regarda silencieusement pendant quelques secondes puis reprit.
-Je te prierais d’en finir au plus vite et de ne pas trop traîner la chose mais….
Elle hésita, attendant une autre parole de l’homme qui ne vint pas. En soupirant,  elle s’avança vers une bibliothèque et fit semblant d’y choisir un livre, laissant traîner ses doigts sur les tranches de cuir.
-Mais je crois que je ne peux y compter. Alors au moins, évite que trop de monde en parle. Ton dernier bain de sang fut une horreur presque mondaine.
-Est-il de ma faute si la souris n’aimait guère la médecine ?
La noble regarda l’assassin, interloquée, puis ferma les yeux d’un air de dégoût.
-N’en parlons plus. Elle rouvrit les yeux et soupira encore.
-Vous soupirez beaucoup… Quelconques déceptions ?
Elle sourit, fanée.
-Je prévois la mort qu’un jour tu me donneras.
-Oh Ma Dame, je n’oserais jamais toucher une fleur teintée de rouge telle que vous.
-Je te connais trop pour savoir quand tu mens.
--Jamais encore l’on a souhaité votre décès. Vous vous êtes trop bien préparée.
-Trop ? Elle le regarda, méfiante, puis s’approcha de lui et lui caressa la joue en souriant avec malice.
-Allez, cessons cela. Va trouver un certain Xant et fais le disparaître.
-Xant ? Il sourit d’un air carnassier. Il n’existe déjà plus »
Le jeune homme se leva, révélant des habits voyants, à la fois drôlesques et élégants, puis la salua respectueusement. Habilement, il sauta vers le plafond, un pied sur le mur, et disparut comme il était venu.  Elizabeth fixa les ténèbres pendant quelques secondes, puis frissonna soudainement. La pièce enfumée avait perdu sa chaleur par un courant d’air inconnu, et malgré les nombreuses bougies et le foyer agonisant de la cheminée, un souffle glacé s’y était installé.  Sa peau laiteuse, prise d’une teinte violacée, s’hérissait à chacun de ses gestes. Ainsi, elle s’approcha rapidement du lit et s’y glissa doucement, laissant retomber son drap de soie. Elle tourna la tête vers son hôte endormit d’un air de dépit, se demandant quand il pourrait se réveiller et prendre congé. Ses yeux s’enfuirent à nouveaux vers le plafond, et son visage s’emplit de tristesse et d’angoisse. Pourquoi donc tout cela ? Sa vie sera-t-elle toujours ainsi, enfermée dans cette cage dorée d’obligation et d’hypocrisie ? Elle ferma les yeux et balaya ses idées noires. Car on lui avait dit, depuis son enfance, qu’il ne faut jamais, et pour aucun prix, hésiter sur ses choix. L’hésitation, c’est la faiblesse mortelle de la noblesse.





Chapitre 2
Le Mouton Noir

« Hé chérie ! Tu sais quelle vie on mène… Je n’en ai plus pour très longtemps, mais est-ce si grave ? Dis, tu veux me répondre pourquoi malgré ma foutue galère, je me traîne, je m’accroche, je m’attache à ce qu’il me reste dans ce monde _si peu, rien_ ? Quoi ? Ne fais pas cette tête, gamine, tu finiras comme moi tu verras. Si ce n’est de maladie, à force de pratique, ce sera sans doute de désespoir. Arrête ce métier, je te le dis ; ce n’est pas ton corps que tu vends pour quelques pièces, c’est ton âme que tu uses petit à petit. Et bientôt, tu deviendras une loque, comme moi, poupée de chiffon traînée dans la boue et qu’on jettera bientôt. Finalement, le monde est sacrément bien fait. Il se débarrasse des ordures et de tout ce qui lui est nuisible… Ha ha ha ! Si on y pense, il n’y aura bientôt plus grand monde sur cette terre ! Mais bon, faut croire que moins on mérite la vie, plus on a envie de la garder… Tu sais, je crois que nous avons tous besoin de mourir un fois, une bonne fois pour toute, pour comprendre combien nous gâchons notre temps.  Tant que j’y pense, nos clients n’ont rien d’autre de mieux à faire ? Enfin… Il faut bien faire semblant d’être vivant, sinon ce n’est plus du jeu… C’est pour ça qu’ils bouffent notre âme les malfrats ! Pour garder le peux d’illusions qu’il leur reste ! Et tellement ingrats qu’ils sont, ils ne le sauront jamais… Tout ça pour quelques piécettes… »
   
Paroles d’Ambroise, courtisane de métier, rapportée par l’une de ses compagnes.



Le jeune homme leva la tête vers la fenêtre, perdu dans ses pensées. Ces cours fastueux l’ennuyaient, et il ne lui plaisait pas, à lui, de connaître les dons et les défauts, les oui et les non, les avancées et reculades, moqueries et obligeances, bonheurs et déviances  de sa classe. A quoi bon tout ce mal ? Depuis son enfance, ses parents l’avaient tiraillé vers la curiosité de l’esprit, mais rien n’y faisait, il n’était bon qu’à paresser et à s’extasier négligemment sur tout et n’importe quoi. La règle était claire : si un noble extérieurement lisse  était une qualité, un noble lisse de l’intérieur était une absurdité impossible. Hakun était cette statue infaisable : ses traits étaient gracieux et élégants, ses yeux d’un noir profond et délicieusement étirés ; mais son esprit était caduc, refusant obstinément de le mettre en avant.  Pourtant, il était intelligent et vif d’esprit, mais son âme devait être si timide qu’elle devait garder tout pour elle.
Ainsi ses tuteurs avaient cru bon essayer d’en faire quelque chose, et l’avaient tour à tour amené au supplice de la littérature, des sciences et des arts. Mais il ne maîtrisait aucune de ces disciplines. Les maîtres d’armes avaient eux aussi abandonné à lui apprendre quelque chose, non pas qu’il était gauche, mais que tout simplement il n’arrivait à rien. Il était donc normal que ce mystérieux enfant  devint la risée de toute l’académie, sinon de toute la ville, tout apprentis et nobles confondus.
C’était donc en toute logique, réfugié au fond de la salle, que Hakun avait depuis longtemps décroché du long discours du Maître. Absorbé par le balancement des arbres au dehors, son regard volait de branche en branche, admiratif devant tant de régularité. Puis il soupira et des deux mains s’accouda d’un air boudeur. Déjà l’âge d’un homme mais sans ambition, il avait de plus en plus l’impression de ne servir à rien, sinon d’admirer le monde de son air discret. « Au moins si je pouvais en tirer quelques sagesses » pensait-il. « Mais non, au lieu d’en tirer profit, je reste et stagne dans ma médiocrité. »
- Sir Hakun, je vous prie d’essayer au moins d’avoir l’obligeance de faire semblant d’écouter.
Hakun fit de grands yeux et retint sa respiration, impressionné par la complexité inutile de cette phrase. Se mordant la lèvre, il se força de sembler intéressé et mortifié de son inconvenance, les yeux ronds. Le Maître fronça les sourcils puis continua ses explications alambiquées sur le pourquoi du comment. Hakun soupira doucement, fuyant les regards curieux ou méprisants de ses compagnons.
La séance terminée, il s’éclipsa rapidement, préférant éviter toute confrontation avec ces êtres qui ne voulait le comprendre. D’un pas rapide, il s’élança dans la rue, contourna habilement les passants harassés par leur journée et se dirigea en courant vers la sortie de la cité, entraîné par sa course vers le bosquet voisin. Quelques temps plus tard, arrivé près d’une petite berge, il lança ses manuscrits en s’écroulant mollement sur l’herbe grasse. Les mains derrière la tête, allongé, le regard béat, il envoya son œil affronter le bleu du ciel d’un air amusé. Voilà ce qu’il aimait. Seul dans sa confrontation à la nature, seul avec le ciel et les arbres. Seul avec les cerisiers sauvages qui déjà venaient lui taquiner la joue de leurs larmes roses. Pourquoi demander plus ? Surtout lorsqu’on est limité comme lui.
De petits rires cristallins le tirèrent de sa torpeur. Il se releva, intrigué, en direction de la rivière. Les voix féminines semblaient venir de l’eau. Elles se chahutaient, babillaient avec humeur, entrecoupées d’éclats joyeux. Hésitant, le jeune homme s’avança sans faire de bruit. A travers les buissons, écartant les branchages d’une main moite, se dessinaient les silhouettes des apparitions. Trois jeunes femmes jouaient dans la rivière, leur peau blanche voilée par de longs cheveux d’onyx. Peu soucieuses, elles ne semblaient pas s’inquiéter d’une probable surprise _d’un probable voyeur_. Hakun avala sa salive, les joues rouges, reconnaissant l’une de ces ondines. Elles étaient toutes les trois belles, mais la perle, le joyau, se trouvait au milieu, riant à pleine gorge, ses yeux d’ébènes illuminés, son petit nez adorablement plissé. Yuka était l’une des apprenties les plus douées, non pas que les professeurs le clamaient, mais car il l’avait ressentit depuis leur première rencontre. Elle n’était que délicatesse et douceur, bienveillance et intelligence, comme une esprit des eaux au mental flamboyant.
Hakun s’approcha un peu plus pour mieux voir, brisant maladroitement quelques brindilles. Paniqué, il ferma les yeux, mais voyant que rien ne se passait, il les rouvrit en soufflant d’un air rassuré. Qu’aurait-il pu dire s’il avait été pris sur le fait ? Il n’eut le temps d’approfondir ses excuses qu’il se fit soudainement attrapé par le col et, étranglé à moitié, fut obligé de se lever en gémissant. Retombant sur les fesses en se tenant la gorge, il osa un regard vers l’agresseur. Ce dernier le regardait d’un air sévère, rouge de colère, les veines sortis par sa hargne.  

« Maître Okant ?!
-Hakun ! »
Ni l’un ni l’autre n’avait pu en dire plus long en cet instant, le premier trop honteux et surpris, le second trop surpris et emplis de honte.
« Quel est donc ce déshonneur ?!
-Maître, je…je… »
Hakun tourna la tête de gauche à droite, cherchant une raison valable à sa présence. Mais il savait que les rires amusés l’avaient déjà trahis.
Les jeunes filles, interrompues par les bruits, avaient cessé leur jeu et, terrifiées, regardaient les buissons parlant. Elles avaient reconnu la voix du Maître et déjà, n’osant fuir, sur leur visage était tombé un voile glacé. L’image cocasse de leur tuteur, sa tête sortant des branchages la chevelure empêtrée dans les feuilles, ne sut les calmer. Il les regarda ainsi pendant quelques secondes, le bleu lui montant au visage, le rouge ne pouvant monter plus, puis repris.
« Mesdemoiselles, que faites vous ici ?
-Nous…heum…Sora avait perdu son bracelet par ici et…
-Assez, je vois bien que vous vous baignez !
-Mais c’est que…
-Pourtant, combien de fois nous vous dirons…
-Nous sommes…
-…que des demoiselles de votre rang ne peuvent ainsi se prélasser comme des paysannes !
-…désolées…
Elles avaient lancé ce dernier mot comme une plainte, la tête baissée.

++++++++++++++++

Alignés tout les quatre, les cheveux ébouriffés et les lèvres pincées, ils regardaient fixement le sol de marbre.
« Jamais personne encore n’avait tant déshonoré notre rang ! Jamais encore je n’avais eu à supporter telle infamie ! Jamais… »
Hakun soupira silencieusement, comptant les dalles de la pièce. Comme il était curieux de savoir qu’il y en avait tant ! Il n’était pas le seul à ignorer le long et exagéré discours du Maître. Ce dernier faisait les cents pas, les mains crispés dans son dos, regardant fixement devant lui.
« Je me promène tranquillement en quête de sérénité, et qu’est-ce que je cueille sur le chemin ? Des exhibitionnistes et son publique.
« Je n’ai eu le temps à rien » soupira intérieurement Hakun.
-Maître Okant, nous savons notre faute, mais je vous en prie, Hakun est innocent !
-Innocent ?
-Il surveillait les alentours pour protéger notre intimité et…
-Par un homme ?!
Yuka se mordit la lèvre, hébétée.
-Sa faute n’en est que plus grave ! Je pouvais encore comprend une coïncidence, mais une complicité…
Yuka joignit ses mains, gênées.
-Non, non, ce n’était pas du tout ce que je voulais dire… en fait…
-Taisez-vous ! Sa voix claqua sèchement. Hakun jeta un regard inquiet vers la jeune fille.
Je préviendrais  votre famille de votre petite excursion, demoiselles impudiques !
Il fixa le jeune homme d’un air sévère.
Quand à toi, ne pense pas t’en tirer à si bon compte ! Je saurais te trouver quelques punitions qui te rafraîchiront les idées… »
Il ne savait pas encore laquelle. Les punitions étaient rares, les réprimandes familiales suffisant à meurtrir le fautif. Mais dans le cas singulier de Hakun, même ses proches se taisaient dans un mutisme honteux, jugeant qu’il n’y avait plus rien à faire. Ainsi, les professeurs devaient faire force d’imagination pour trouver quelques façons de lui faire regretter son arrogance.





Chapitre 3
Le repaire

On m’a toujours dit qu’il ne servait à rien de se battre, qu’il fallait avancer en fermant les yeux, ne pas regarder. Ne pas regarder et sauter. J’ai souvent pensé à le faire : sauter oublier ma vie inutile. Mais je n’ai pas pu. Je suis une lâche. Maintenant, je sens la maladie qui me gagne ; et j’ai peur. Je ne veux pas mourir… Non, vraiment, je ne veux pas mourir. Je ferais n’importe quoi pour garder cette vie de misère. Je n’ai pas trente ans, je suis bien trop jeune pour que ça se finisse ainsi. « C’est trop bête » comme dirait l’autre. Oui… C’est trop bête…La douleur petit à petit monte en moi, me transperce le ventre. A moins que ce soit l’effroi ? Ma vue est trouble, ma langue sèche. Mes yeux sont taris depuis bien trop longtemps, je n’arrive plus à pleurer… Suis-je seulement encore vivante ? Donnez-moi une larme, juste une petite larme… Donnez-moi la force… Il est trop tard pour changer, peut-être, mais je ne veux plus être cette misérable catin qu’on laisse traîner dans un coin. Je veux moi aussi vivre, vivre vraiment avant de partir. Je veux sentir mon cœur battre, cet organe qui s’est depuis si longtemps desséché. Je veux que l’on me paye mon amour par des mots tendres et des sourires sincères, et non plus par du métal. Je veux… Mais qui suis-je donc pour vouloir ? Juste une Khyan sans valeur. On me l’a dit, je ne suis rien, et je le serais toujours. Rien dans ma vie, rien dans ma mort. Rien. Je disparais juste lentement sans que personne même ne le remarque.

Ambroise



Hakun, à quatre pattes sur le sol de pierre, frottait de toutes ses forces les marques déposées là par le temps. Voilà cinq heures qu’il lissait la même dalle, mais elle n’avait pas changé de couleur pour autant, une teinte grisée mêlée de vert moussu. Et il n’attendait pas qu’elle change ; c’était une punition bien idiote de laver quelque chose qui ne se lave pas. Si n’importe quel disciple se serait plaint en allant plusieurs fois sur d’autres dalles, Hakun non. Il était difficile de reprocher sa patience. Mais ce n’était pas de l’obstination, il savait juste que s’agiter ne servirait à rien. Il devait attendre le Maître qui lui lèvera la punition, c’est tout.
« Hakuuun !
Il releva la tête à la voix féminine et vit Yuka se précipiter vers lui, montant les marches quatre à quatre. Les cheveux en bataille, essoufflée, elle se pencha vers lui en souriant. Elle est vraiment belle pensa-t-il en rougissant.
-Yuka ? demanda-t-il bêtement. Il ne sut que dire de plus.
- Hakun, le Maître a été bien dur avec toi. Voila que tu laves le sol comme un serviteur.
Elle le regardait fixement, lumineuse, de ses grand yeux noirs.
-Ce n’est pas bien grave… Il aurait put trouver bien pire.
Elle s’assit à côté de lui, faisant attention à ne pas mouiller le pan de son kimono, et regarda l’horizon d’un air songeur. Le jeune homme la regarda quelques secondes, surpris, puis se remit au travail.
-Dit Hakun…
-Hm ? repondit-il d’un air désinvolte, troublé.
-Pourquoi as-tu toujours cet air si triste ?
Il se redressa et la regarda d’un air interrogateur. Elle haussa un sourcil et éclata de rire.
-Si tu voyais la tête que tu faisais ! Allez viens, suis moi !
Sans attendre, elle lui agrippa le poignet et le tira. Hakun n’eut le temps de se défendre, et la suivit dans sa course effrénée ponctuée de rires enthousiastes.
-Mais… Ma punition ! Réussit-il  à placer entre deux sauts de marches.
-Tu l’as bien assez faites, ne penses-tu pas ? »
Juste une seule dalle et qui est toujours sale, pensa-t-il dépité. Il ne rétorqua pas et se laissa emmener.

Ce n’est que quelques minutes plus tard, à l’ombre du grand arbre du jardin de la ville, qu’ils s’arrêtèrent pour reprendre leur souffle. Ils riaient tout les deux enfin, sans comprendre vraiment pourquoi sinon qu’ils avaient encore désobéis.  
« Pour moi, ce n’est pas grave. Mais ta famille ne va pas te blâmer ? souffla-t-il, calmé.
Elle haussa les épaules en faisant la moue.
-Ils ne seront pas au courant. Et puis, j’ai fini ma punition, je ne fais rien de mal.
Hakun  la regarda du coin de l’œil, malicieux.
-Tu es avec un fugitif.
Elle éclata de rire en lui faisant une petite tape sur l’épaule.
-Ce que tu peux être bête !
Le jeune homme fixa sa peau ainsi effleurée. Yuka était d’un naturel incroyable et d’une vive spontanéité. Jamais une noble n’avait ainsi le droit de se comporter, mais cela faisait d’elle ce trésor attachant qu’il affectionnait tant. Il leva son regard vers elle et lui sourit.
-Yuka, tu es vraiment une fille merveilleuse.
Elle rougit, interloquée, puis rit.
-Tu dis cela depuis que tu m’as vu à la rivière ?
Hakun resta bouche bée et rouge de honte, baissa la tête en fixant le sol.
-Je…je…je n’ai rien vu ! bafouilla-t-il.
Ils restèrent muet tout les deux, hébétés.

Des bruits proches les tirèrent tout les deux de leurs pensées.
-Mais qui donc nous avons là…
C’était un petit groupe d’élèves plus âgés, et ils avançaient d’un pas sur vers eux.
-Yann ?! s’écria Yuka. Que viens-tu faire ici ? Ce n’est pas la peine de rester si c’est pour nous chercher.
-Oh, ne t’inquiètes pas. Nous ne faisions que nous promener, mais puisque je suis là je peux tout de même saluer mon cher ami Hakun.
Le jeune homme fit un sourire sardonique. Il alla prêt de lui et lui passa un bras autour du coup.
-N’avions-nous pas un duel en court, mon cher ami ?
Hakun lui lança un regard noir.
-Je ne me bats pas avec les lâches.
Une douleur fulgurante lui traversa les entrailles et le plia en deux. L’agresseur retira son poing, le laissant tomber en gémissant.
-Qui donc appelles-tu lâche ? Tu ne sais même pas te défendre. Relève-toi et viens me battre.
Il lui donna un violent coup de pied dans le flanc, voulu continuer.
-Laisse-le ! s’écria Yuka en s’interposant. Qu’est-ce qui te prend à l’agresser ainsi ?
Les autres de la bande rirent doucement derrière.
-Je ne supporte pas les faibles qui se font protéger par les femmes.
Hakun se remit à quatre pattes, le goût de son sang dans la bouche. Il resta à terre mais lui jeta un regard sombre.
-Je ne me bats pas avec quelqu’un qui a besoin de sa meute pour l’appuyer.
Il ne se releva pas, même s’il le pouvait. A quoi bon l’inciter encore à continuer ? Yann était l’un des meilleurs élèves de l’Académie. Tous l’admiraient pour sa force et son habileté. Il était brillant, parfait ; et il détestait Hakun. Ce n’était pas de la haine, c’était une véritable répulsion, comme une besoin inévitable de l’écraser au sol. Il était le soleil, Hakun l’insecte qui s’y brûlait les ailes. Force irrémédiable du destin : le fort répugne le faible. Loi immortelle qui traverse le temps et les mondes. Yann s’approcha à nouveau, furieux.

++++++++++++++++++++


Senril s’enfonçait dans l’étroit goulot en admirant les parois arquées d’un sourire curieux. Les gardiens l’avaient bien accueillis quand il avait dit que l’Empire l’envoyait enquêter dans la prison. Mais ils n’avaient pas voulu le suivre jusqu’au souterrains et lui avait fait multiples recommandations. Rester discret, ne pas s’attirer d’ennuis, et surtout ne pas aller au premier quartier Est. Premier quartier Est ? Il ricana. Il ne savait plus où était l’Est de l’Ouest dans ces ténèbres étouffantes. Cela ne l’empêchait pas de parcourir les couloirs d’un air nonchalant. Il avait mit des habits moins visibles qu’à son habitude pour venir à Isgurdian, mais la clochette qui tintait sur son cou prévenait les alentours de son arrivé. Cependant, les habitants des caveaux environnant, intrigué par ce son inhabituel, allaient toujours vers la source sans rien trouver. Rien sinon ce tintement dans les ténèbres, mêlé d’un léger rire presque inaudible. Et cette impression glaciale de mort, cette mauvaise sensation d’être surveillé. Il ne fallut pas plus d’une heure pour que la rumeur naisse. Une effroyable bête s’était invitée dans les souterrains, à moins que ce ne soit un fantôme.  

Zoria tournait en rond dans la salle obscure d’un air ennuyée. Voila plusieurs heures qu’elle s’était assise près de lui, sans qu’il ne bronche. Elle se demandait bien ce qui pouvait le tracasser de la sorte, elle qui n’avait rien vu dans ses rêves. Elle soupira d’abattement, caressa le mur qu’elle longeait d’un air las et se dirigea vers l’ouverture. Sur le pas de cette dernière, pour briser le morne silence, elle entonna une mélodie de leur enfance, joyeuse et triste à la fois. Ses notes raisonnaient dans les ombres, tintement de cristal accompagnée, à s’y méprendre, d’une clochette. Soudain, elle s’arrêta. Quelque chose lui avait chatouillé le visage. Elle y posa le doigt, et le regarda, surprise : un liquide chaud le souillait. Elle le goutta, prit un moment pour apprécier le goût et sourit d’un air satisfait. Alors, elle leva les yeux vers le plafond, intriguée, et reçut encore quelques gouttes. Levant les mains pour en recueillir, elle appela d’un ton joyeusement étonné :
« Mon frère ! Il pleut… »
Anthanael jeta un œil vers sa sœur. Il se leva rapidement et se dirigea vers elle en voyant son visage ensanglanté, fronçant les sourcils d’un air inquiet.
« Frère, il pleut du sang ! »
Zoria regarda de nouveaux le plafond, et n’eu le temps de faire un petit bond en arrière qu’un corps tomba à ses pieds. La jeune fille prit un air déçue, voyant que le prodige n’avait rien de surnaturel. Enfin, dans le long boyau, des bruits de pas raisonnèrent. Elle recula, intimidée devant la silhouette du nouvel arrivant, et se serra contre son frère.
« Êtes-vous bien ces jumeaux que l’on dit amis de Xant ? » demanda Senril en entamant une révérence grinçante. Il sourit d’un air sarcastique.
« Car si c’est le cas, je suis venu vous voir pour savoir où il était.
Anthanael le regarda d’un air imperturbable, puis laissa un léger sourire lui échapper.
-Dans un autre monde sans doute.
Voici le tout debut de la suite du Seigneur prisonnier! Je vous mets juste le premier chapitre et le debut du 2eme, en mettant a jour regulièrement ^^

Dessin d'Alvarez E.
© 2005 - 2024 Alyciane
Comments6
Join the community to add your comment. Already a deviant? Log In
Loriant's avatar
yiiiiiiiiiipeeeeeeeeeeeee enfin la suite !!!! suis super content, c'est un super cadeau de noyel... un peu en retard, soit, mais quand même.... j'adore !!!